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Que signifie le résultat pour l’économie française ?
Azad Zangana : « Emmanuel Macron est un homme politique favorable aux entreprises et libéral sur le plan des valeurs. Il a créé un mouvement destiné à dépasser la division politique gauche-droite en France. Pour nous, il marche sur les traces de réformateurs tels que Gerhard Schröder en Allemagne ou Tony Blair au Royaume-Uni. Il y a certainement beaucoup à faire en France en termes de réformes structurelles pour améliorer le fonctionnement de l’économie. Emmanuel Macron souhaite mettre en œuvre des mesures visant à stimuler la compétitivité, y compris à travers une réduction de l’impôt sur les sociétés et la libéralisation du marché du travail. Ce volet de son programme, particulièrement important, pourrait intégrer une réduction du coût d’embauche et de licenciement pour les entreprises, ainsi que des ajustements sur la semaine de 35 heures. Il existe cependant des interrogations sur la facilité avec laquelle Emmanuel Macron pourra mettre en œuvre ces réformes. Les élections législatives se dérouleront en juin et son parti pourrait avoir des difficultés à obtenir la majorité absolue. Il pourrait se trouver dans une situation de « cohabitation » avec un Premier ministre issu du parti Les Républicains. Ce serait inhabituel mais pas complétement inédit et une coalition pourrait être formée autour d’une majorité de députés favorables aux réformes. »
Quelles sont les implications pour le reste de l’Europe ? Azad Zangana : « Emmanuel Macron est un europhile convaincu et il est susceptible de galvaniser les efforts en faveur de l’intégration européenne. Dans le passé, il a préconisé une supervision budgétaire par l’Union européenne et pourrait soutenir un budget centralisé pour financer les opérations nationales, et peut-être même un partage des risques. Ce sont toutes des mesures excellentes du point de vue de la gestion des risques, mais celles-ci ne sont pas nécessairement souhaitées par l’ensemble des membres de l’Union Européenne. Nous considérons sa victoire comme positive du point de vue des risques et de la macroéconomie. »
Quelle sera la réaction des marchés actions à la victoire d’Emmanuel Macron ? Nicholette MacDonald-Brown : « Nous pensons que ce résultat sera perçu positivement par les marchés boursiers européens et devrait permettre de maintenir le rallye actuel. Sa position pro-euro et pro-business devrait permettre aux investisseurs en actions de se concentrer sur l’extension de la reprise économique au lieu de craindre une éventuelle désintégration de l’euro. Les valorisations des actions restent très attrayantes en Europe, à la fois en termes absolus et relatifs, et la croissance des bénéfices s’améliore. La saison des résultats du premier trimestre a été la meilleure en Europe depuis plus de sept ans, et de nombreuses entreprises ont dépassé les prévisions en termes de ventes et de bénéfices. Nous pensons donc que les actions européennes pourraient offrir une opportunité intéressante aux investisseurs. Pour la France en particulier, les réformes du marché du travail devraient aider le secteur privé. Nous voyons également la possibilité de flux accrus vers les actions européennes maintenant que les grandes craintes sur le risque politique ont été résolues. Les investisseurs qui avaient privilégié une position attentiste peuvent désormais revenir sur les marchés actions européens. »
Comment les devises et les marchés obligataires vont-ils réagir ? Philippe Lespinard : « En ce qui concerne les devises, nous ne voyons pas cette élection comme une modification considérable du paysage. Les économies française et italienne ont été les retardataires en Europe et cela pourrait bien se poursuivre à court terme. Pour les marchés obligataires, il est probable que l’impact soit plus important. La Banque de France a été très active pour supprimer la volatilité sur les OAT françaises et la Banque centrale européenne est désormais moins pressée d’intervenir. Il y a eu une prime sur les Bunds allemands et les bons du Trésor américains, car les grands investisseurs institutionnels en Asie et au Moyen-Orient avaient cessé d’acheter des obligations françaises. Ils vont maintenant reprendre leurs achats, repositionner leur exposition sur « neutre », ce qui signifiera la fin de la prime sur les Bunds et les Treasuries. Ce sera positif pour les spreads, bien qu’il y ait beaucoup d’émissions à venir en France. Dans l’ensemble, nous notons que le fort engagement européen d’Emmanuel Macron et les réformes devraient contribuer à renforcer l’économie française et lui permettre de rattraper le taux de croissance européen. Dans ce scénario, nous nous attendons à ce que les obligations françaises se comportent bien. Du côté des obligations d’entreprises, les plus grands gagnants potentiels sont susceptibles d’être les émetteurs financiers français car leurs spreads vont maintenant se resserrer. »
Quels sont les prochains risques politiques en Europe ? Azad Zangana : « Le prochain grand événement politique est l’élection générale au Royaume-Uni le 8 juin. Cependant, il est très peu probable de déboucher sur autre chose qu’un gouvernement conservateur plus fort. Les élections allemandes suivent le 24 septembre mais, encore une fois, nous considérons qu’elles sont peu risquées. Angela Merkel peut perdre, mais ce ne serait qu’au profit de ses partenaires de coalition, ce qui ne constituerait pas une préoccupation pour les investisseurs. Un risque plus important pour la stabilité de l’Europe est l’Italie où les élections sont prévues d’ici mai 2018. Le mouvement protestataire « cinq étoiles », dirigé par Beppe Grillo, est toujours en tête des sondages. Le parti n’a pas d’idéologie forte, mais a par le passé soutenu une position anti euro. »
Quel avenir pour les populistes ? Nicholette MacDonald-Brown : « Depuis quelque temps, la politique a été le plus grand risque pour les actions européennes. Cependant, contrairement à la crise de 2011-2012, les institutions financières sont beaucoup plus conscientes des risques transfrontaliers et sont mieux à même de les gérer. Les risques politiques ne disparaîtront jamais entièrement, mais les marchés prennent beaucoup mieux en compte ces risques. »
Philippe Lespinard : « Le populisme pourrait disparaître si les personnes qui se sentaient jusqu’à présent invisibles se pensaient enfin écoutées. À bien des égards, les 100 premiers jours de l’administration Trump n’ont pas été particulièrement encourageants pour l’agenda populiste. Si Emmanuel Macron peut faire avancer ses réformes en France, il y a de bonnes chances que l’optimisme puisse remplacer le pessimisme. Ce mouvement pourrait s’étendre à d’autres pays : Emmanuel Macron est très similaire à bien des égards à Matteo Renzi en Italie. Si Emmanuel Macron réussit son agenda réformiste en France, cela pourrait encourager Matteo Renzi, qui a démissionné en tant que premier ministre après avoir perdu un référendum sur le changement constitutionnel. »
Que signifie cette victoire pour le processus du Brexit ? Azad Zangana : « Emmanuel Macron n’a pas encore beaucoup précisé sa position sur le Brexit. Cependant, il est susceptible de chercher à renforcer les institutions européennes. Nous pensons qu’il reconnaîtra l’importance de la relation économique entre la France et le Royaume-Uni et sera peu susceptible de recourir au protectionnisme. »
Philippe Lespinard : « Nous devrions ajouter aussi qu’Emmanuel Macron a des conseillers très expérimentés en termes de politique européenne et sera très bien informé sur ces questions. La France et le Royaume-Uni ont des relations particulièrement étroites en matière d’énergie et de défense. Pour cette raison, la France est susceptible d’être un bon partenaire pour le Royaume-Uni dans les négociations sur le Brexit. De toute évidence, la négociation du Royaume-Uni est avec l’Union européenne et non avec la France, mais ces liens étroits sur des questions aussi importantes devraient aider à prévenir tout ‘accident majeur’ autour du Brexit. »
Quelles sont les implications pour l’union bancaire européenne et l’impact sur les marchés financiers ? Azad Zangana : « Emmanuel Macron est en faveur d’une plus grande intégration, il devrait maintenant y avoir des progrès sur l’union bancaire en Europe. Une grande partie du blocage venait de l’Allemagne et de la question de la garantie des dépôts. Une plus grande impulsion pour compléter l’union bancaire est donc envisageable. »
Philippe Lespinard : « L’Allemagne était moins désireuse de progresser sur l’union bancaire, tant que des pays comme la France et l’Italie étaient à la traîne pour entreprendre des réformes. Si Emmanuel Macron parvient à pousser son agenda réformiste et que l’Italie lui emboîte le pas l’année prochaine, nous pourrions assister à davantage de progrès. En fait, il pourrait y avoir un déblocage important de la politique européenne si Emmanuel Macron, et potentiellement Matteo Renzi, pouvaient adopter des réformes similaires en même temps. »
Nicholette MacDonald-Brown : « En ce qui concerne les actions, les valeurs bancaires ont beaucoup progressé depuis le quatrième trimestre 2016. Les valorisations ont augmenté mais le résultat de ces élections devrait avoir un impact mineur sur le secteur ».
Le résultat a-t-il déjà été pris en compte par les marchés ? Nicholette MacDonald-Brown : « Jusqu’à présent, la réaction du marché boursier a été plutôt mesurée et certainement le résultat avait-il déjà été pris en compte suite au premier tour. Cela dit, un risque important a été effacé. Compte tenu de la progression solide des résultats des entreprises en Europe, nous pensons que la dynamique positive en cours sur les actions européennes devrait se poursuivre. »
Philippe Lespinard : « L’écart entre les obligations françaises et allemandes devrait maintenant revenir à sa juste valeur. Comme mentionné précédemment, nous pensons que la ‘prime de sécurité’ dont bénéficiaient les Bunds et les bons du Trésor américain devrait maintenant disparaître. » |